Sur le terrain, chez les dirigeants de PME et d’ETI que j’accompagne, le constat est récurrent : l’IA est partout dans les discours, beaucoup plus rarement dans les processus structurants. Certains outils sont testés, quelques gains ponctuels sont observés, mais la valeur globale reste difficile à qualifier.
Les études McKinsey 2025 apportent un éclairage utile sur ce décalage. Elles montrent toutefois une réalité qu’il faut lire avec prudence : ces analyses portent majoritairement sur de grandes organisations internationales, déjà très outillées, rarement comparables à une PME ou une ETI européenne. Les enseignements sont néanmoins transposables, à condition de les interpréter avec méthode.
Gagnez du temps en lisant notre sommaire :
1. Une adoption massive, mais une valeur encore marginale
Selon The State of AI in 2025 de McKinsey, 88 % des organisations utilisent désormais l’IA dans au moins une fonction, contre 78 % un an plus tôt (McKinsey & Company, 2025).
Pourtant, seulement 39 % déclarent un impact mesurable sur l’EBIT à l’échelle de l’entreprise, et dans la majorité des cas, cet impact reste inférieur à 5 %.
Lecture terrain pour PME et ETI
Dans les structures intermédiaires, ce décalage est encore plus marqué. L’IA est souvent utilisée comme :
- un outil d’assistance ponctuelle (rédaction, synthèse, support commercial),
- sans refonte réelle des processus existants,
- sans indicateurs clairs de performance économique.
L’étude confirme un point clé : le problème n’est plus technologique, mais organisationnel. Ajouter de l’IA à un processus inefficace n’en fait pas un processus performant.
2. Le “purgatoire des pilotes” : un piège largement sous-estimé
Près de deux tiers des organisations n’ont pas encore commencé à déployer l’IA à l’échelle de l’entreprise (McKinsey, 2025).
Elles multiplient les preuves de concept sans transformation durable.
Facteur de taille
McKinsey montre un écart net :
- près de 50 % des entreprises de plus de 5 Md$ de chiffre d’affaires ont atteint la phase de déploiement,
- contre 29 % seulement pour celles sous les 100 M$.
Pour une PME ou une ETI, ce chiffre doit être lu comme un signal d’alerte, non comme une fatalité. La difficulté principale n’est pas le budget, mais :
- l’absence de priorisation des cas d’usage,
- le manque de gouvernance claire,
- la confusion entre expérimentation et décision.
3. L’émergence des agents IA : potentiel réel, déploiement encore limité
Les agents IA (systèmes capables de planifier et d’exécuter plusieurs étapes d’un processus) concentrent une forte attention.
62 % des organisations déclarent expérimenter ces agents, mais :
- seulement 23 % les déploient à grande échelle dans au moins une fonction,
- et moins de 10 % dans une fonction donnée (McKinsey, 2025).
Où les agents fonctionnent aujourd’hui
Les usages les plus matures se situent :
- en IT (gestion de tickets, support),
- en gestion des connaissances,
- dans les secteurs technologie, médias, télécoms et santé.
Transposition PME / ETI
Pour des structures plus petites, les agents IA ne doivent pas être abordés comme une couche technologique complexe, mais comme un outil de simplification de flux :
- qualification commerciale,
- préanalyse financière,
- préparation de dossiers clients,
- contrôle de cohérence documentaire.
L’enjeu n’est pas l’autonomie totale, mais la réduction des tâches répétitives à faible valeur décisionnelle.

4. Ce qui distingue les “high performers” en IA
McKinsey identifie environ 6 % d’organisations capables d’attribuer plus de 5 % de leur EBIT à l’IA. Leur point commun n’est pas la technologie utilisée, mais leur approche.
Les quatre leviers structurants
- Objectif : croissance avant efficacité
80 % des entreprises utilisent l’IA pour réduire les coûts.
Les plus performantes l’utilisent aussi pour :- créer de nouveaux services,
- améliorer la proposition de valeur,
- accélérer la prise de décision.
- Refonte des workflows
Les high performers sont près de trois fois plus nombreux à redessiner leurs processus de travail autour de l’IA (McKinsey, 2025).
Cela signifie repenser :- qui fait quoi,
- à quel moment,
- avec quel niveau d’autonomie de la machine.
- Implication directe du leadership
Les dirigeants ne délèguent pas le sujet.
Ils arbitrent, priorisent et utilisent eux-mêmes les outils. - Investissement assumé
Plus d’un tiers consacre plus de 20 % de leur budget digital à l’IA.
Pour une PME, cela se traduit moins par un montant absolu que par une allocation claire et assumée.
5. Impact humain et gestion des risques : une lecture pragmatique
Emploi
Les anticipations restent hétérogènes :
- 43 % ne prévoient aucun changement d’effectifs,
- 32 % anticipent une baisse,
- 13 % une hausse (McKinsey, 2025).
Dans les PME et ETI, l’IA entraîne rarement des suppressions immédiates. Elle modifie surtout :
- les compétences attendues,
- la répartition du temps,
- le rôle des fonctions support.
Risques identifiés
Le risque le plus fréquemment signalé reste l’inexactitude des réponses (hallucinations), cité par environ un tiers des organisations.
Viennent ensuite :
- l’explicabilité,
- la conformité réglementaire,
- la protection des données.
Les organisations les plus avancées rencontrent davantage de problèmes, non par faiblesse, mais parce qu’elles déploient plus de cas d’usage. Elles investissent donc plus tôt dans des mécanismes de contrôle.

5 points à retenir
- L’IA est largement adoptée, mais rarement structurante à l’échelle de l’entreprise.
- Le principal frein n’est pas technologique, mais organisationnel et managérial.
- Les agents IA offrent un potentiel réel, à condition de cibler des processus précis, qui doivent avoir été entièrement réécrits.
- La création de valeur passe par la refonte des workflows, pas par l’empilement d’outils.
- Pour les grandes entreprises comme pour les PME et ETI, la clé est la priorisation : peu de cas d’usage, mais bien intégrés.
Limites et prisme à garder en tête
Les études McKinsey reposent sur un échantillon large (près de 2 000 répondants dans 105 pays), mais majoritairement composé de grandes organisations déjà très structurées (McKinsey & Company, 2025).
Les PME et ETI doivent donc :
- adapter les ordres de grandeur,
- raisonner en proportion et non en volume,
- privilégier la simplicité opérationnelle.
